Construire l’Europe du rail : signalisation, coopération et conduite de projet
Construire l’Europe du rail : signalisation, coopération et conduite de projet
L’ENJEU EUROPÉEN
POUR LA SIGNALISATION AU DANEMARK
La norme européenne ETCS/ERTMS d'interopérabilité ferroviaire vise des objectifs multiples : faciliter le franchissement des frontières, ouvrir le marché de la signalisation ferroviaire, élever les vitesses commerciales, augmenter la fréquence des trains, réduire les couts de maintenance et garantir une sécurité maximale. (source : site web Alstom).
En 2008, Banedanmark a annoncé un programme de remplacement total au Danemark, visant à convertir l’ensemble du système de signalisation du réseau grandes lignes en ETCS Niveau 2. (source : transport.ec.europa.eu). Un déploiement de grande envergure était nécessaire étant donne l'état d’obsolescence de certaines parties du réseau et l’hétérogénéité des différents systèmes employés. Mais le Danemark est le premier pays européen à tenter une conversion complète de son réseau national ; il s’agit donc d’une entreprise très ambitieuse. De plus, cela requiert également d'équiper tous les trains avec la même technologie. En 2012, Alstom s’est vu attribuer le contrat pour la partie Est du Danemark (800 km de voies ferrées à équiper), tandis que Thales (aujourd'hui Hitachi) a obtenu la partie Ouest. Ce ne sont pas seulement la position de pionnier ou l'obsolescence de ses systèmes existants, qui poussent le Danemark à se lancer dans un tel projet. C’est aussi l’attrait de l'interopérabilité (= compatibilité) entre les systèmes européens. Car le Danemark sera un passage essentiel du corridor Scandinavie-Méditerranée, entre la Suède et l'Allemagne, lors de l’ouverture en 2029 du tunnel du Fehmarn Belt. Pour que cette liaison soit une réussite, il faut que les passages de frontières ne représentent pas une barrière au trafic, et que la circulation au Danemark soit fluide et fiable.
![]() | L’atteinte de l’objectif d’interopérabilité entre les différents systèmes européens - qui sont en fait assez différents les uns des autres - est aujourd’hui débattue, mais cela n’empêche pas l'ERTMS d'être déployé à grande échelle partout en Europe. |
CHIFFRES CLÉS INFRASTRUCTURE FERROVIAIRE AU DANMARK
(source : Danmarks Statistik)
Réseau : Nombre de passagers (2024) : Fret (2024) : 1905 millions de tonnes-km Vitesses maximales grandes lignes : 120 km/h à 160 km/h. Opérations et maintenance de l’infrastructure : Opération des trains : DSB (entreprise publique aux revenus et actifs indépendants) Evolution du trafic passager entre 2023 et 2024 : En 2023, 15.8 millions de personnes (+23 % par rapport a 2022) ont pris la liaison Oresund entre le Danemark et la Suède. Il s’agit essentiellement de personnes en transit quotidien domicile-travail. | ![]() Evolution du nombre de passagers par type de transport ferroviaire,l’année de référence (2019) étant représentée par “100”. Source : Danmarks Statistik. |
LES MÉTIERS DE L'INGÉNIEUR DANS
UN PROJET DE SIGNALISATION FERROVIAIRE
Le projet ≪ FBANE ≫ déployé par Alstom au Danemark fournit un système numérique compose de trois sous-systèmes intégrés :
> Interlocking (sécurité des trains)
> ETCS (contrôle des trains ; liaison avec le système a bord)
> TMS (gestion du trafic, interface homme-machine)
La première phase du projet a consisté à adapter l’architecture et les fonctions des produits Alstom aux besoins de Banedanmark et du contrat. Ensuite, nous sommes passés au déploiement des équipements et du système sur un premier tronçon prototype, puis de manière plus industrielle sur le restant des tronçons (11 au total), tout en continuant à déployer de nouvelles fonctions et d'améliorer le fonctionnement du système.
Les livrables comprennent des logiciels et du matériel (équipements sur les voies, armoires de commande, serveurs, stations de travail), des travaux de génie civil pour l’installation, la documentation, ainsi que la formation du client. L'équipe projet, internationale, est constituée de plus de 200 personnes reparties essentiellement sur le Danemark, l’Italie et l’Inde, dont les métiers sont très divers : ingénierie et design, génie civil, test, sécurité ferroviaire, gestion de projet, planification, contrat, etc.
Concernant le travail sur site, nous installons et testons des centaines de composants électroniques, électromécaniques et de signalisation sur et le long des voies. La difficulté de cette phase tient essentiellement au fait que nous opérons en “brownfield”, c'est-à-dire que le réseau ferroviaire sur lequel nous travaillons est toujours en circulation commerciale pour les passagers. Chaque accès a la voie représente donc des trains annules pour les passagers. Nous devons parfois limiter cet impact en travaillant sur un court intervalle de nuit, et revenir le lendemain sur le même site pour terminer. De plus, pendant la durée du projet, les voies doivent continuer à être entretenues pour la sécurité du trafic existant. Nous devons parfois démonter et réinstaller les équipements que nous venons d'installer, pour empêcher que les machines de maintenance du ballast les détruisent.
En parallèle, nous développons et continuons à améliorer les solutions logicielles des trois sous-systèmes. C’est une architecture complexe, et des millions de lignes de code. Les métiers du ferroviaire, et en particulier pour la signalisation, ont beaucoup évolué au cours des 50 dernières années.
Nous avons désormais besoin de compétences avancées en informatique et en systèmes, et nous souffrons parfois de ne pas avoir anticipé une stratégie en ce sens. Trouver les bonnes ressources est un véritable défi, en partie car le ferroviaire n’est pas forcement l’industrie a laquelle on pense ou qui attire quand on est un ingénieur informatique ou un architecte système.
Enfin, comme beaucoup d’industries ou le produit représente un enjeu majeur de sécurité pour ses usagers, une phase très importante du projet est la documentation et la validation de sécurité ferroviaire avant la mise en service.
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LES DÉFIS DU CHEF DE PROJET
DANS UN MÉGAPROJET
On qualifie parfois ce genre de projet d'infrastructure de grande ampleur de “mega-project”. On peut citer d’autres exemples comme la construction de bâtiments d’architecte, d’aéroports, de centrales nucléaires, ou l’organisation des Jeux Olympiques.
Ces projets ont en commun leur durée, leur budget et leur complexité. Malheureusement, la plupart des megaprojets se terminent avec un retard très important, un budget largement dépasse, et parfois un objectif de performance non atteint.
Le projet ≪ FBANE ≫ ne fait malheureusement pas exception. Selon la planification initiale, le déploiement devait être termine en 2021. A l’Est, Alstom a a ce jour complète environ un tiers du projet.
Plusieurs facteurs rendent ce projet critique et complexe :
> Le budget initial (plusieurs centaines de millions d’euros) et la durée initiale (9 ans)
> La sous-estimation lors de l’offre, par tous les acteurs, de l'ampleur et de la complexité de la livraison
> Le retard accumule (date actuellement estimée pour l’acceptation du dernier tronçon : 2030)
> Le grand nombre de modifications (Variation Orders) demandées par le client ou par des parties prenantes externes. En conséquence, une incertitude constante sur le périmètre et une perturbation incessante des livraisons planifiées
> Les difficultés commerciales liées aux points ci-dessus
> La forte visibilité du projet auprès du public :
1 le projet est financé par l'Etat et donc par les impôts ;
2 le déploiement perturbe le trafic au quotidien ;
3 le retard du déploiement n’aide pas à réduire les pannes sur le réseau actuel obsolète
> Les difficultés organisationnelles et techniques avec un client dont ce n’est pas le cœur de métier de gérer des projets de grande envergure, ni de déployer des systèmes numériques
> Les défis lies à un projet ≪ brownfield ≫ (voir ci-dessus) : toute planification est dépendante du trafic, les arrêts de trafic coutent cher, et les parties prenantes à prendre en compte sont nombreuses
> L’ajout de nombreux autres projets d’infrastructure sur le même réseau : électrification, rénovation de stations, changement ou doublement de voies, ajouts de nouvelles branches du réseau, etc.
En tant que l'une des neuf chefs de projet sur ce contrat, je collabore quotidiennement avec notre vaste équipe internationale, je gère des problèmes complexes et varies, et j’essaie d’anticiper autant que possible les risques à venir. J'apprécie particulièrement la variété des sujets à traiter, la diversité des personnes que je rencontre, ainsi que l'utilité du produit final pour le Danemark.
Pour networker, vous renseigner sur les multitudes de métiers du ferroviaire, ou pour échanger sur d’autres sujets abordés dans l’article, n'hésitez pas à me contacter ou à rejoindre le groupe ferroviaire sur le site de CNA.
marie.gentilhomme@centraliens-nantes.org
![]() | Marie MEISSONNIER (ECN S2009) née GENTILHOMME 2013-2016 : Singapour / Safran Helicopter Engines – Chargée d’affaires réparation au sein du Support Client. En parallèle, elle gère des projets d'amélioration continue sur cette activité : réduction des couts, réduction des temps de réparation. 2016-2019 : Copenhague, Danemark / Exruptive est une startup qui développe un scanner nouvelle génération pour la sécurité des bagages a main dans les aéroports. Après avoir développe un concept pour le future Service Client, j’ai repris la gestion de projet du développement du scanner. Depuis 2019 : Copenhague, Danemark / Alstom - Cheffe de projet pour le déploiement du système digital de signalisation ERTMS (European Rail Traffic Management System) sur les grandes lignes des régions Est du Danemark. Depuis mai 2025 - Maintenance Manager pour le même projet. |
Article paru dans l'Hippocampe n°126 de juin 2025
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